
Agnès Palangian est une femme qui vit et respire l'éducation. Diplômée en sciences de l'éducation, formée à la pédagogie Montessori et à la discipline positive, elle a enseigné pendant plusieurs années en maternelle et en primaire en France.​ En 2017, elle pose ses valises à l'île Maurice avec une idée en tête : créer un lieu où les enfants pourront grandir et apprendre dans la joie, le respect et la confiance. C'est ainsi qu'est née « La Maison des Enfants », une école maternelle à son image.​ Mais l'aventure ne s'arrête pas là . Avec sa partenaire Caroline Debiesme, elle ouvre la crèche « 1,2,3 Soleil », puis l'école primaire « Les Enfants du Soleil ».​ Aujourd'hui, Agnès continue de semer des graines de bienveillance en tant que formatrice et consultante. Son regard sur l'éducation est précieux, et son engagement pour une pédagogie respectueuse et positive est une source d'inspiration.
Qu'est-ce qui vous a motivé à créer vos propres écoles, alors que la région ouest en compte déjà plusieurs ?
Depuis mes débuts dans l'éducation, j'ai toujours ressenti que le système traditionnel ne convenait pas à tous les enfants. Ce sentiment s'est accentué quand je suis devenue maman. Voir mes propres enfants manquer d'enthousiasme pour l'école, ressentir trop de contraintes, de devoirs, de pression… Ça m'a interpellée.​
J'ai toujours eu cette conviction profonde : un jour, je créerai une école qui me ressemble, où bienveillance et fermeté cohabiteront harmonieusement, inspirée notamment par les principes de la discipline positive.​
En arrivant à Maurice en 2017, j'ai constaté qu'il n'y avait pas ou peu d'écoles proposant une pédagogie alternative. Après avoir échangé avec plusieurs parents partageant ce constat, j'ai décidé de me lancer. En septembre 2018, « La Maison des Enfants » a ouvert ses portes avec une éducatrice, une assistante maternelle… et un seul enfant !​
Deux ans plus tard, ils étaient 15. Aujourd'hui, malgré les défis, notamment ceux posés par la pandémie, nous accueillons 80 enfants répartis entre nos deux écoles et la crèche, avec une équipe de 17 personnes engagées et passionnées.
Pouvez-vous nous parler de l'éducation particulière que vous proposez dans les écoles et crèches que vous avez fondées ?
L'éducation des enfants me passionne. Je suis convaincue qu'un environnement bienveillant et respectueux est essentiel pour leur épanouissement, surtout entre 0 et 6 ans, période cruciale pour le développement du cerveau. Les neurosciences nous montrent que l'amour, la tendresse et l'attention favorisent l'autonomie, la concentration et la confiance en soi.
Un enfant heureux est capable de tout apprendre.
Dans nos établissements, chaque enfant est encouragé à explorer et apprendre à son rythme, dans un cadre sécurisant. Nous valorisons le bien-être, la joie d'apprendre, l'éveil de la curiosité, la gestion des émotions (à l'école maternelle, par exemple, les enfants apprennent à reconnaître leurs émotions grâce à des couleurs), le respect de soi et des autres, l'entraide et l'empathie ainsi que le goût de l'effort. Toutes ces valeurs sont primordiales pour former les citoyens de demain.
Des activités comme le yoga, les balades en forêt et la sensibilisation à la nature font également partie intégrante de notre pédagogie. Car il est essentiel de savoir se connecter à son corps et aux éléments naturels. Nous mettons aussi l'accent sur l'éducation à la santé dès le plus jeune âge, en abordant des thèmes comme l'alimentation, le sommeil et la respiration.
L'éducation ne s'arrête pas aux enfants. Nous accordons également une grande importance à la formation de nos éducateurs, qui doivent faire preuve de patience, de respect et d'une bonne connaissance de soi. Des rencontres avec les parents sont régulièrement organisées, car nous croyons que l'environnement familial joue un rôle crucial dans le développement de l'enfant. Bien sûr, nous sensibilisons les familles à l'usage des écrans, qui peuvent nuire au développement des petits.
Je voudrais rajouter que nos écoles accueillent des élèves de milieux défavorisés grâce à l'action d'ONG. Les résultats et les progrès de ces enfants sont époustouflants !
Pouvez-vous nous décrire une journée type dans votre école primaire ?
Les classes, composées de petits groupes de 12 à 15 élèves, permettent une attention personnalisée et une pédagogie différenciée.​
Les matinées sont consacrées aux apprentissages fondamentaux : français, anglais et mathématiques. Les séances durent 45 minutes. La journée est ainsi ponctuée de courts moments de récréation pendant lesquels les enfants peuvent courir et se défouler. Nous travaillons sans manuels imposés, et sans évaluations notées car la compétition n'a pas lieu dans notre école. Nos élèves apprennent à travers des jeux, des ateliers interactifs et des projets concrets.​
L'après-midi est dédié à la découverte du monde. Les enfants participent à des activités variées : expériences scientifiques, initiation à la philosophie, débats et discussions pour développer leur esprit critique. Les conflits sont résolus par les enfants eux-mêmes, avec l'accompagnement bienveillant des éducateurs, favorisant ainsi l'autonomie et le respect de l'autre.​ Nous proposons bien sûr des activités sportives et artistiques, disciplines toutes aussi importantes que les activités plus académiques. Nous pratiquons également le yoga et la respiration chaque semaine, pour la plus grande joie des enfants.
Je rappelle qu'il n'y a aucun écran dans nos écoles !
Chaque jour est une occasion d'ouvrir les consciences, de cultiver la curiosité et de nourrir la joie d'apprendre.
Quel est l'intérêt d'une école à pédagogie alternative comme la vôtre ?
Pour moi, l'essentiel, c'est que l'enfant se sente bien. Quand il est en confiance, qu'il se sent écouté et respecté, il est plus enclin à apprendre. Dans nos écoles, on veille à ce que chaque enfant soit reconnu dans sa singularité. On l'accueille tel qu'il est, avec ses forces et ses particularités.​
Mais ce bien-être ne concerne pas que nos élèves. Il est tout aussi important que les éducateurs se sentent bien dans leur rôle. Une équipe épanouie, c'est une énergie positive qui se diffuse dans toute l'école. Cela crée un environnement serein et propice à l'apprentissage.​
Nos écoles sont des lieux où chacun, enfant comme adulte, peut s'épanouir pleinement.
Quels sont les défis à surmonter à Maurice pour mettre en place de telles écoles ?
Quand je suis arrivée en 2017, je ne connaissais personne, et les démarches administratives ont été longues et complexes.
Il a aussi fallu que les parents me fassent confiance, qu'ils acceptent des idées nouvelles, parfois à contre-courant de ce qu'ils connaissaient.​
Le système éducatif ici est très axé sur la compétition, les examens, les classements. Proposer une approche basée sur la coopération, la bienveillance, sans évaluations notées ni manuels scolaires, c'est un vrai changement de paradigme. Il faut du temps pour que les familles comprennent et adhèrent à cette vision.​
Un autre défi majeur, a été de constituer une équipe pédagogique alignée avec ces valeurs. Trouver des éducateurs ouverts à une autre manière d'enseigner, prêts à se former et à remettre en question leurs pratiques, ça n'a pas été évident. Mais j'ai eu la chance de rencontrer des personnes formidables, qui m'accompagnent depuis le début et qui ont beaucoup évolué.​
Enfin, instaurer un véritable partenariat avec les familles est essentiel. Parfois, la pression et le stress générés par des parents anxieux ou perfectionnistes œuvrent en défaveur du bien-être et des apprentissages de l'enfant. Nous aimerions mettre en place davantage d'ateliers de parentalité, car, c'est une certitude, pour qu'un enfant s'épanouisse pleinement, il faut que l'école et la famille avancent main dans la main.​
Parlez-nous du succès remporté par vos écoles.
Au départ, l'école maternelle a commencé modestement, mais rapidement, les parents ont manifesté un vif intérêt. Leur enthousiasme nous a poussées, Caroline Debiesme et moi, à ouvrir une crèche partageant les mêmes valeurs. Ça a été un succès immédiat. Ensuite, pour assurer une continuité pédagogique, et à la demande pressante des parents, nous avons lancé une école primaire.​
Aujourd'hui, nous sommes ravies de constater que les enfants qui passent par nos établissements s'intègrent aisément dans des collèges plus conventionnels. Ils possèdent non seulement les compétences académiques nécessaires, mais aussi une confiance en eux remarquable, essentielle pour leurs apprentissages futurs et leur rôle de citoyens responsables.​
Récemment, j'ai été approchée pour envisager l'ouverture d'une nouvelle école à Bel Ombre. Bien que le projet soit encore en phase préliminaire, il témoigne de l'intérêt croissant pour notre approche éducative.​
Par ailleurs, j'ai eu l'opportunité de participer aux dernières Assises de l'éducation à Maurice, aux côtés des principaux acteurs du secteur. C'était une occasion précieuse de partager mon expérience et de plaider pour une reconnaissance plus large des pédagogies alternatives.
Quel est votre constat du système éducatif à Maurice ? Quelle est selon vous l'importance des assises de l'éducation ?
Mon constat sur le système éducatif à Maurice est clair : il y a un véritable besoin de changement. Le système tel qu'il existe aujourd'hui n'est plus ²¹»å²¹±è³Ùé aux enfants d'aujourd'hui — ce que j'appelle les « nouveaux enfants ».
La société évolue à toute vitesse. Les parents sont débordés, stressés, et les enfants absorbent cette tension. Le système éducatif, au lieu de les accompagner, rajoute une pression supplémentaire. Il est trop compétitif, trop stressant, et surtout, il manque cruellement d'humanité et d'espace pour l'épanouissement de l'enfant.
Ce qui m'inquiète particulièrement, c'est la place de l'écran dans l'apprentissage. À Maurice, on semble croire que les enfants vont apprendre efficacement derrière un écran. Pourtant, l'expérience du Covid a bien montré que les cours en ligne ne sont pas une solution durable : les enfants n'apprennent pas réellement, ils subissent.
Autre point important : le manque de structures ²¹»å²¹±è³Ùées pour accueillir les enfants aux besoins spécifiques. Qu'ils soient autistes, hypersensibles, précoces ou tout simplement atypiques, ils peinent à trouver leur place dans le système scolaire traditionnel. Et cela ne devrait plus être toléré.
Dans ce contexte, les Assises de l'Éducation étaient vraiment bienvenues. Pour moi, y participer a été une véritable chance. C'était une ouverture, un droit à la parole. Ce qui m'a frappée, c'est que tous les acteurs présents avaient une envie sincère que les choses changent.
Et nous avons été entendus. Le directeur du ministère de l'Éducation a parlé d'une « éducation plus humaine ». À ces mots, je me suis sentie pleinement en phase. C'est exactement ce que je défends, ce pour quoi je me bats au quotidien.
Ces assises, je l'espère, marqueront le début d'un vrai changement. En tout cas, une chose est sûre : je ne lâcherai rien. Le combat pour une éducation plus juste, plus bienveillante et plus inclusive ne fait que commencer.
Quels sont vos projets en matière d'éducation bienveillante et alternative ?
Depuis le début de cette aventure éducative, j'ai toujours eu à cœur de partager et de transmettre ce que j'ai appris. Aujourd'hui, je souhaite aller plus loin en structurant la formation des enseignants. J'ai établi des contacts avec l'Université de Maurice pour envisager l'ouverture d'un cours dédié à la pédagogie bienveillante. Former les enseignants, c'est la base de tout changement durable.​
Parallèlement, j'aimerais m'investir dans l'accompagnement parental. Souvent, un simple échange avec un parent peut débloquer des situations complexes. Les difficultés rencontrées par les parents ont un impact direct sur leurs enfants. En les soutenant, on agit concrètement pour le bien-être de nos petits élèves.​
J'aimerais aussi avoir la possibilité de proposer des idées à un niveau plus national. Je suis convaincue que des changements sont nécessaires à Maurice, pas seulement dans les écoles privées, mais aussi dans le secteur public. Comme je le disais, j'ai eu le privilège de participer aux dernières Assises de l'Éducation, où j'ai pu présenter ma vision de l'école. C'était une opportunité précieuse pour plaider en faveur d'une éducation plus humaine et inclusive.​
Le projet qui me tient particulièrement à cœur, et qui aura lieu en octobre 2025, est l'organisation d'un congrès intitulé « Au cœur de l'éducation », en collaboration avec Daniella Bee. Ce congrès s'adresse à tous les acteurs de l'éducation, y compris les parents, et vise à créer des échanges enrichissants à l'échelle de l'océan Indien.
Nous aborderons des thématiques essentielles telles que les différentes pédagogies, les troubles de l'apprentissage, l'inclusion, les dangers des écrans, la nutrition, la relation entre le corps, l'esprit et les émotions. Le yoga, que nous pratiquons déjà dans nos écoles, sera également mis en avant comme une discipline clé pour aider les enfants à se recentrer et à mieux gérer leurs émotions.​
Mon objectif est de continuer à bâtir des écoles humaines, où chaque enfant est reconnu dans sa singularité et accompagné avec bienveillance. Je crois fermement que c'est en travaillant ensemble, enseignants, parents et institutions, que nous pourrons offrir aux enfants l'éducation qu'ils méritent.​